Source : L’Express

Le 17 juillet 2016, des visiteurs déposent des bougies et des fleurs en hommage aux victimes de l'attentat de Nice, survenu trois jours plus tôt.

Le 17 juillet 2016, des visiteurs déposent des bougies et des fleurs en hommage aux victimes de l’attentat de Nice, survenu trois jours plus tôt.

afp.com/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

Trois ans après le massacre, l’Association des Français victimes du terrorisme demande l’audition de deux djihadistes français qui avaient évoqué l’attaque.

Trois ans après l’attentat de Nice (86 morts, 458 blessés), l’enquête pourrait prendre une nouvelle orientation. Mandaté par l’association française des victimes du terrorisme (AFVT), qui s’est portée partie civile dans le dossier, l’avocat Antoine Casubolo a en effet déposé en mai dernier une demande d’actes d’instruction auprès des magistrats en charge de l’affaire. Selon nos informations, cette démarche vise à obtenir l’audition de deux djihadistes français qui se sont exprimés au sujet de l’attentat.

Le premier, Jonathan Geffroy, alias Abou Ibrahim, est un membre de Daech, capturé au début de 2017 par l’Armée syrienne libre (ASL), avant d’être remis en septembre de la même année par la Turquie aux autorités françaises. Il est détenu depuis lors pour « association de malfaiteur terroriste criminelle » et s’est longuement expliqué devant les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure sur ce qu’il a vu et entendu au sein de l’Etat islamique.

Le second Français, Adrien Guihal, 34 ans, alias Abou Oussama, est aujourd’hui détenu par les forces kurdes de Syrie. Proche des frères Fabien et Jean-Michel Clain, Guihal travaillait à leurs côtés au sein de l’appareil médiatique de l’organisation terroriste.

Guihal, alias Abou Ibrahim, revendique l’attentat

Or, dans une note de synthèse transmise à l’AFVT, Jean-Charles Brisard, le président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT), attire l’attention sur les informations que ces deux hommes pourraient détenir sur l’attentat de Nice. Jusqu’à présent, aucun lien direct n’a pu être établi entre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l’auteur du massacre au camion-bélier à Nice le 14 juillet 2016, et Daech. Mais l’attentat avait été revendiqué deux jours plus tard par l’organisation djihadiste. Notamment par le biais d’un bulletin d’information lu et diffusé par al-Bayan, la radio officielle de l’EI. La voix d’Adrien Guihal était aussitôt authentifiée par les services de renseignement français. Guihal avait revendiqué de la même manière le meurtre d’un couple de policiers à Magnanville (Yvelines), commis le 26 juin précédent par un autre djihadiste français. Même chose, le 26 juillet suivant, après l’assassinat du père Jacques Hamel, 86 ans, par deux jeunes terroristes, dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Les revendications formulées par Adrien Guihal étaient-elles opportunistes ? Ou ce dernier était-il au courant des attaques à venir ?

Cette seconde hypothèse mériterait d’être vérifié, car Guihal travaillait aux côtés de frères Clain, responsables de la propagande en Français de Daech. La note de synthèse du CAT souligne : « Il apparaît que les Clain et le reste des Français dans l’équipe média de l’EI avaient connaissance à l’avance de certaines opérations à venir. » Sur cette base, maître Casubolo demande aux magistrats de délivrer un mandat d’arrêt international visant Adrien Guihal en vue de sa mise en examen pour « complicité d’assassinats et de tentative d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste », dans le cadre de l’instruction menée sur l’attentat de Nice.

De même, l’avocat leur demande de « procéder à l’audition d’Adrien Guihal afin de faire toute la lumière sur les liens éventuels entre l’EI et Lahouaiej-Bouhlel. » Guihal, de même que sa femme et ses enfants, est détenu depuis le 16 mai 2018 à la prison de Deyrik (nord-est de la Syrie) par les forces kurdes. Les autorités kurdes auraient d’ailleurs émis ces derniers jours un accord de principe pour remettre le djihadiste à la France, en cas de demande officielle. A défaut, elles ne s’opposeraient pas à ce qu’il soit entendu sur place par un magistrat.

Geffroy, le repenti « choqué » par l’attaque de Nice

Jonathan Geffroy, alias Abou Ibrahim, s’était lui aussi exprimé au sujet de Nice. Entendu en janvier 2018, ce repenti expliquait aux enquêteurs sa désillusion vis-à-vis de Daech, « provoquée par les opérations extérieures [les attentats], notamment après l’attentat de Nice. » Geffroy indiquait alors qu’il désapprouvait la méthode utilisée par Lahouaiej-Bouhlel le 14 juillet 2016, c’est-à-dire l’attaque de civils avec un camion-bélier.

Là aussi, maître Casubolo demande aux magistrats de « procéder à l’audition du détenu Jonathan Geffroy », afin d’éclaircir son degré de connaissance de l’attaque. « Ces hypothèses sont intéressantes, et elles méritent d’être étudiées et évaluées, commente Guillaume Denoix de Saint-Marc, directeur de l’AFVT. S’il s’avérait qu’Adrien Guihal ou Jonathan Geffroy avaient eu une connaissance préalable de l’attentat de Nice, cela changerait la donne dans ce dossier. »

Lors de ses auditions, Geffroy s’était montré particulièrement loquace auprès des enquêteurs et du juge. Il avait livré de nombreuses informations pertinentes sur le rôle des Français au sein de Daech, ainsi que sur le fonctionnement de la branche de l’organisation chargée des opérations extérieures. Serait-il susceptible d’en faire autant sur la tragédie de Nice ?