Source : RFI

Au début de l’été, Tracfin publiait son rapport d’activité. Le service de renseignement annonce une hausse importante de son activité en ce qui concerne la lutte contre le financement du terrorisme. La coopération avec les établissements financiers n’est pourtant pas toujours évidente.

Parmi les services de renseignement français, Tracfin reste probablement le plus méconnu. Rattaché au ministère de l’Action et des Comptes publics (ancien ministère du Budget), il a pour charge de lutter contre les « circuits financiers clandestins ». Parmi ces derniers, le financement du terrorisme reste un sujet important et en 2018, Tracfin affiche des chiffres à la hausse : 1 038 notes de renseignement ont été rédigées, soit une augmentation de 51 % en un an.

De quoi s’agit-il concrètement ? « Ces notes sont destinées aux magistrats ou autres services de renseignement, traduit Jean-Charles Brisard, consultant et analyste spécialisé sur le terrorisme. Depuis que Tracfin a accès aux fichiers de police, ils peuvent demander des informations à des établissements spécifiques, sur des individus identifiés. »

Le terrorisme diversifie ses financements

Pour faire face à une diversification des financements du terrorisme, Tracfin a dû sensibiliser l’ensemble des acteurs du secteur. Si l’on pense très vite aux grands établissements bancaires, certains terroristes passent par des dispositifs plus originaux, comme les plateformes de financement participatif, les cryptomonnaies ou encore le recours à des prêts à la consommation.

« Jusque 2012-2015, le financement du terrorisme est l’affaire de l’ONU et des États-Unis, résume un ancien d’un service de renseignement français, qui a suivi notamment les flux financiers des groupes terroristes. À l’époque, inscrire Oussama Ben Laden sur une liste et lui interdire d’ouvrir un compte courant, ce n’est pas très compliqué. C’est ensuite que c’est devenu difficile : il a fallu trouver des gens que nous ne connaissions pas et repérer des transactions qui n’étaient pas irrégulières en elles-mêmes. »

Certains candidats au jihad, avant la grande vague d’attentats qui touche la France à partir de 2012, se rendent tout simplement dans leur banque pour vider leur compte. « Je pars au Cham », annoncent-ils gaiement à des conseillers dépités qui ne situent pas encore bien ce qui se passe en Syrie. « Le dispositif bancaire était aveugle, comme les services de renseignement à ce moment-là », se souvient notre ancien du service de renseignement français.

Aujourd’hui, les différents services ont rattrapé leur retard et les apprentis terroristes sont obligés de se faire plus discrets. Dans la majeure partie des cas, lorsque Tracfin identifie des mouvements financiers suspects, les informations sont transmises à d’autres services et notamment à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), souvent mieux armée pour judiciariser les affaires. En 2018, sur les 1 038 notes produites par Tracfin sur ce sujet, 139 ont été remises directement à la justice et 899, la grande majorité, aux collègues des services intérieurs et extérieurs. Les manœuvres financières s’ajoutent alors à une multitude d’indices et de preuves : connaissances humaines, communications interceptées et pourquoi pas flagrants délits.

Pour contourner la surveillance, les candidats au jihad évitent désormais les grands établissements bancaires, dont la coopération avec Tracfin est connue. Ils préfèrent des « néo-banques » ou des systèmes de paiement en ligne comme Paypal ou Facebook. Mais derrière toutes ces plateformes, on retrouve toujours des grands groupes financiers internationaux enclins à surveiller. Les cryptomonnaies et les montages plus complexes restent pour l’instant le fait de groupes terroristes très organisés. Le Hezbollah libanais passe dans ce domaine pour une référence, avec des financements camouflés derrière une multitude de sociétés-écrans et des collaborateurs infiltrés jusqu’à l’intérieur de certains établissements bancaires.

Tracfin et les banques, relation complexe

Les établissements financiers, de tous les types, ont l’obligation de déclarer à Tracfin toute opération suspecte de l’un de leurs clients. Le problème, c’est que ces acteurs ont parfois le sentiment qu’une trop bonne collaboration représenterait pour eux un risque. C’est ce qu’explique à RFI un spécialiste de la recherche de financements terroristes dans une grande banque française : « Si nous sommes perspicaces, nous trouvons des choses à déclarer. Mais plus vous déclarez, plus vous révélez des failles potentielles dans le dispositif. Et plus on risque de nous imposer de nouvelles exigences de surveillance. »

C’était d’ailleurs le message porté par le directeur sortant de Tracfin, Bruno Dalles, lors d’une conférence organisée par l’ACPR-Banque de France en juin dernier : les établissements bancaires bombardent le service de nombreuses déclarations de soupçons. Un phénomène qui permet de faire gonfler les statistiques mais qui n’implique pas toujours un gain d’efficacité. Pire, ce volume de données non analysées par les établissements financiers risque de « noyer » Tracfin.

Il existerait enfin un risque de frein psychologique pour les plus petits acteurs. Si les grandes banques peuvent déclarer des flux financiers suspects sans s’inquiéter de l’impact sur leur activité, pour un petit notaire local, c’est plus compliqué : si son client à des problèmes, justifiés ou non, c’est tout son équilibre professionnel et son image qui peuvent se retrouver en danger.