Source : La Depeche Du Midi 

Comment toute la famille de Kévin Gonot, le Lotois condamné à mort en Irak, a rejoint Daesh

  • Kévin Gonot fait partie des Français condamnés à mort.
Kévin Gonot fait partie des Français condamnés à mort.Photo Kurdistan24
Kévin Gonot, originaire de Figeac dans le Lot, est condamné à mort. Son père serait mort à Raqqa. Son demi-frère serait dans une prison de sécurité ; sa mère, sa femme et ses enfants probablement dans des camps de réfugiés. Retour sur le parcours d’une famille lotoise radicalisée…

Kévin Gonot, 32 ans, a été condamné à mort par pendaison le 26 mai, par la cour de justice de Bagdad. Ce Figeacois a fait partie des tous premiers ressortissants français à être sous le coup d’une peine capitale pour son implication au sein de l’organisation terroriste Etat islamiste.

Le verdict a été prononcé par la cour du tribunal de Bagdad.
Le verdict a été prononcé par la cour du tribunal de Bagdad. – Photo AFP, Sabah Arar

Actuellement en prison dans un centre de détention irakien, celui qui se faisait appeler Abou Sofyan au sein de l’Etat islamiste, a donc été reconnu coupable de son appartenance et de son implication dans l’organisation islamiste terroriste. Mais comment ce Lotois, natif de Figeac, s’est-il retrouvé dans les geôles irakiennes, à 5000 km de son habitation du hameau du Soulié de Capdenac-le-Haut ? Que sont devenus ses 5 enfants et son épouse Jennifer Clain ? Qu’est-il advenu de son demi-frère Thomas Collange ou encore de Christine et Stéphane Gonot, ses parents… Pourquoi toute une famille a-t-elle sombré dans la radicalisation ? Toutes ces questions taraudent ceux qui les ont connus.

L’intérieur du tribunal de Bagdad, où les djihadistes Français ont été condamnés.
L’intérieur du tribunal de Bagdad, où les djihadistes Français ont été condamnés. – Photo AFP, Sabah Arar

La conversion

Kévin Gonot s’est converti au début des années 2000, en même temps que son père, sa mère et son demi-frère Thomas Collange. C’est ce dernier, membre de la filière d’Artigat, dans l’Ariège, qui a vraisemblablement été le moteur de cette conversion.

Chauffeur dans une société de nettoyage à Figeac, Kevin a vécu pendant deux ans au Caire pour étudier l’arabe.

La radicalisation de Kévin Gonot

«J’ai rencontré un ami là-bas qui étudiait en Egypte, au Caire, et il prévoyait d’aller se battre en Syrie. Il a commencé à me convaincre [de participer au combat] en me montrant des images de leurs opérations là-bas. J’ai multiplié les allers-retours entre l’Egypte et la France pendant un certain temps pour  voir ma famille – ma mère, mon père, ma femme et mon frère- qui ont tous par la suite rejoint l’organisation. J’ai voyagé de Paris à Istanbul, puis je suis entré illégalement sur le territoire syrien», a raconté Kévin Gonot lors de son procès fin mai en Irak.

Selon son témoignage lors de l’audition, Kévin Gonot aurait rejoint le front Al-Nusra (ex-branche d’Al Qaïda en Syrie), avant de prêter allégeance au «calife» autoproclamé de l’Etat islamique le djihadiste Bakr al-Baghdadi, en 2014. Intervenant comme interprète auprès des combattants étrangers , il semblerait qu’il ait participé aux combats d’Alep. Il aurait indiqué au juge avoir été blessé au ventre lors de la bataille de Kobané en 2015, puis transféré à Mossoul, en Irak pour être hospitalisé.

 

Père et mère radicalisés eux-aussi

Tous ceux qui les ont connus, côtoyés ou croisés par hasard, dressent le même constat, ils les ont vus changer du jour au lendemain et rien de leur vie d’avant ne laissait présager un tel basculement dans la radicalisation.

Stéphane Gonot, le père, a été intermittent du spectacle, il œuvrait comme artificier notamment. C’est surtout de cette activité que se souviennent les gens du Figeacois qui décrivent un homme aux cheveux roux qu’ils ont «croisé bien plus tard en djellaba».

Son épouse Christine aussi portait le vêtement traditionnel musulman, déjà en  2010. Mais quand elle arrive dans le Lot, dans les années 85, elle n’affiche aucune confession. Elle est recrutée comme éducatrice spécialisée à l’institut thérapeutique et éducatif de Viazac, puis elle rejoindra la Maison d’enfants à caractère social (MECS) L’Oustal à Sainte-Croix à Villeneuve.

 

L’arrestation en 2007

Soupçonnés de faire partie du réseau Al Qaïda et de la filière d’Artigat (dirigée en Ariège par l’émir Blanc Olivier Corel), Thomas Collange et son demi-frère Kévin  sont arrêtés au petit matin du 24 octobre 2007 par les forces spéciales anti-terroristes dans leur maison du Soulié, à Capdenac-le-Haut.

Ils seront relâchés en attendant leur procès.

 

La famille lotoise interpellée en 2007 vivait dans un paisible hameau à Capdenac-le Haut. /Photo DDM, archives.
La famille lotoise interpellée en 2007 vivait dans un paisible hameau à Capdenac-le Haut. /Photo DDM, archives.

 

Le départ vers la Syrie en 2013

C’est en novembre 2013, que Kévin Gonot, alors âgé de 27 ans, quitte définitivement la France pour la Syrie. Un témoin assure l’avoir convoyé jusqu’à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle pour qu’il prenne son vol pour la Turquie, racontera cet homme au tribunal, lors du procès de Kévin Gonot en 2016.

Le procès par contumace en 2016

Au CAT, le Centre d’analyse du terrorisme, Jean-Charles Brisard a plusieurs dossiers sur Kévin Gonot et ses proches. Le CAT qu’il préside est une organisation créée il y a 4 ans et reconnue d’intérêt général. « Nous comptons dix analystes qui décryptent l’idéologie terroriste et le basculement d’individus dans la sphère terroriste. Nous nous appuyons sur des sources locales et d’autres sur lesquelles je ne donnerais pas d’indications ».

Concernant Kévin Gonot, Jean-Charles Brisard rappelle : « Il a été condamné (en son absence, NDLR) à 9 ans de prison, dont 6 ans de sûreté, pour sa participation à une association de malfaiteurs en vue d’un acte terroriste, le 12 avril 2016 par la 16e Chambre du tribunal correctionnel de Paris. »

L’arrestation en Syrie en 2018

Le 13 décembre 2018, Kévin Gonot et son demi-frère Thomas Collange ont été arrêtés en Syrie par les troupes de l’alliance arabo-kurde anti-Daesh.

Kévin Gonot a été transféré avec 10 autres Français en Irak en février dernier. Fin mai, comme les 10 autres Français, il a été condamné à mort ce dimanche pour appartenance à Daesh par la cour de Bagdad.

Durant son procès en Irak, il a expliqué que son père Stéphane Gonot, serait mort lors de la bataille de Raqqa. Une information que le Centre d’analyse du terrorisme considère comme « vraisemblable, sans pour autant connaître les circonstances précises », indique Jean-Charles Brisard.

Quant à son demi-frère Thomas Collange, il se trouverait dans un camp au Kurdistan syrien. En avril, il était incarcéré à la prison de haute sécurité de Derick au nord-est de la Syrie, là où a eu lieu une mutinerie en avril dernier.

Le CAT ne dispose pas d’éléments sur les 5 enfants de Kévin Gonot (âge, identité), ni sur leur mère Jennifer Clain, nièce des frères Clain, qui pourraient être dans un camp de réfugiés. « C’est l’un des rares cas familiaux français où l’on ne connaît pas les conditions de détention », précise le président du CAT. Il en va de même pour Christine Gonot, la mère de Kévin.

Son ami d’enfance souhaite le rapatriement de Kévin

« J’ai très bien connu Kévin, il y a quelques années de cela. Nous étions amis et nous passions du temps ensemble chez lui ou chez moi. Nous étions au collège [privé] Jeanne d’Arc et avions une quinzaine d’années ».

Romaric Rembault, 33 ans, est touché par la condamnation à mort de son ami d’enfance. « Je suis attristé d’apprendre la tournure qu’a pu prendre sa vie, nous confie-t-il. Certains diront que sa peine est méritée pour avoir appartenu à un groupe terroriste dont l’image représente des centaines voire des milliers de morts. Je ne le juge pas et j’aurais aimé qu’il puisse avoir de l’aide ou un soutien avant qu’il n’opère ce changement radical ».

Juste avant de partir en Egypte, Kévin avait repris contact avec son ami. « J’étais heureux de savoir que lui aussi avait créé une famille, et de ses mots, il semblait être comblé ». Lors de cet échange entre les deux anciens copains de collège, rien ne transparaîtra des projets de Kévin Gonot. « Si j’avais su, j’aurais essayé de le dissuader de rester en contact avec de telles personnes ».

« Je ne peux apprendre sa condamnation à mort et rester sans rien faire »

Pour son père : « Kévin était un adolescent timide, réservé, qui se cherchait », il est « convaincu qu’il s’est fait enrôler ». Romaric Rembault veut porter ce témoignage de façon sincère et non dissimulée. Il nous parle de son désarroi et de cette vulnérabilité de nos enfants. « Moi aussi je suis papa, de trois enfants. En voyant le monde dans lequel nous évoluons je prie* et ferai tout ce que je peux pour protéger les miens de commettre pareilles erreurs. Kévin n’a sûrement pas eu la chance d’avoir ce soutien.

Ayant été proche de lui, je ne peux apprendre sa condamnation à mort et rester sans rien faire. Je souhaiterais son rapatriement en France et qu’il soit jugé sur notre territoire. Je ne suis pas impassible face à la violence et au terrorisme, mais n’oublions pas que la France reste le pays des Droits de l’homme et lui, un de ses ressortissants ».

*Romaric Rembault est de confession catholique.