Source : L’Express

Par Boris Biolay

Parmi les 140 djihadistes français détenus par les Kurdes en Syrie figurent quelques cadres religieux et médiatiques.

Ils sont tout à la fois indésirables et très convoités. Leur dangerosité potentielle en fait des individus à garder sous étroite surveillance. Les quelque 140 djihadistes français détenus par les forces kurdes en Syrie constituent un casse-tête pour Paris. Jusqu’à ces dernières semaines, les autorités françaises rejetaient catégoriquement l’idée même de leur retour, estimant que « ceux qui avaient combattu dans les rangs de l’Etat islamique devaient être jugés par les autorités locales [en Syrie et en Irak]. » Cette position catégorique n’est plus à l’ordre du jour. Le 29 janvier, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, déclare en effet : « Ce sont des Français avant d’être des djihadistes. Certains sont déjà revenus, nous les mettons en prison. […] Ceux qui reviendront, s’ils devaient revenir, seront mis en prison. »

L’éventualité d’un retour collectif – qui risque de susciter un large rejet dans l’opinion -, est liée aux changements de situation sur le terrain. L’annonce, en décembre, d’un retrait progressif des 2000 soldats américains en Syrie, où ils soutiennent les Kurdes, suscite des inquiétudes. Fragilisés, menacés par une offensive turque, ces derniers pourraient ne plus être en mesure de garder leurs prisonniers sous contrôle. Pire : ils pourraient aussi être tentés de les échanger contre des soldats kurdes détenus par le régime syrien ou des groupes djihadistes. « La France ne peut pas se permettre de prendre un tel risque, souligne un spécialiste. Si un groupe terroriste, ou le régime de Damas, récupère des djihadistes français, ils seront tentés de s’en servir et de faciliter leur retour clandestin se venger. »

Une quinzaine d’hommes sur 140 personnes

Quelle est la réelle capacité de nuisance de ces Français détenus dans des camps, au nord-est de la Syrie ? Difficile à dire, en l’état. Sur ces 140 personnes, 70 à 80 sont des mineurs, les trois quarts étant des enfants de moins de sept ans. S’y ajoutent une cinquantaine d’adultes, parmi lesquels une quinzaine d’hommes, presque tous trentenaires. L’Express a pu identifier la quasi-totalité de ces derniers.

Certains d’entre eux, captifs depuis plus d’un an, sont de vieux routiers du djihad. A commencer par le groupe des « Toulousains », qui gravitait autour de Fabien et Jean-Michel Clain, les deux frères qui ont revendiqué en Français les tueries du 13 novembre 2015, au nom de Daech. Considérés comme les derniers responsables français des attentats de 2015-2016 toujours en vie, les Clain seraient aujourd’hui cernés dans la poche de Baghouz, dernier réduit de Daech, à l’extrême sud-est de la Syrie.

Parmi ces Toulousains, on retrouve Thomas Barnouin, 37 ans, alias Abou Ahmed, originaire du Tarn. Converti depuis le début des années 2000, fiché S, Barnouin recrutait des candidats au djihad à Toulouse. Un « repenti » de Daech, Jonathan Geffroy, capturé en Syrie et remis aux autorités françaises en septembre 2017, a longuement décrit aux enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) le rôle de Barnouin, en France, puis en Syrie, depuis 2014. « A Toulouse, on m’a emmené en voiture, la tête baissée pendant une heure. On m’a passé au détecteur de micro. […] On m’a présenté à Abou Ahmed [Barnouin], cagoulé, que j’ai reconnu à sa voix très particulière, raconte Geffroy aux enquêteurs les 15 janvier et 6 février 2018. « Il m’a demandé si je voulais prêter allégeance. Je ne l’ai plus jamais revu jusqu’à la Syrie ».

Responsable de la version française du magazine Dabiq

A Raqqa, « capitale » syrienne du califat, Thomas Barnouin, doté de solides connaissances théologiques, s’occupe un temps de formation religieuse dans les camps d’entraînement. Il travaille également pour les médias de Daech, dont la chaîne audiovisuelle Al-Furqan, avant de devenir responsable de la version française de Dabiq, magazine de propagande diffusé en ligne. « Il a été viré, je crois, pour exagération dans la religion. C’est quelqu’un qui va très vite dans les excès. Il va plus loin que L’État islamique », affirme Jonathan Geffroy devant les policiers de la DGSI, en janvier 2018.

Une scission d’ordre doctrinal a bien eu lieu en 2017. Et quelques djihadistes français, bannis, ont cherché à rallier le nord-est de la Syrie. C’est ainsi que six d’entre eux ont été capturés par les Kurdes en décembre de cette année-là. Aux côtés de Barnouin, se trouve alors Thomas Collange, alias Abou Mokhtar, 36 ans aujourd’hui, promoteur lui aussi du djihad armé, depuis de nombreuses années. Colllange, converti très jeune à l’islamisme le plus radical est fiché S dès 2002. Il effectue de nombreux allers-retours au Proche-Orient, officiellement pour apprendre l’arabe. Il rallie dès 2014 le « Sham », cette Syrie originelle fantasmée par les djihadistes.

Kevin Gonot, 32 ans, le demi-frère de Collange, fait partie du groupe. Lui aussi issu d’une famille convertie de longue date, Gonot, alias Abou Soufyan, est marié à Jennifer Clain, la fille aînée d’une des soeurs de Fabien et Jean-Michel Clain. Ils ont cinq enfants, qui se trouvaient en Syrie avec eux. Kevin Gonot a participé à des combats dans la région d’Alep au début de 2014, dans les rangs de l’Etat islamique en Irak et au levant, futur Daech.

Tuer les Français « par les armes, les voitures, le poison »

Autre membre du groupe: Mohamed Megherbi, 37 ans. Surnommé Abou Hamza, c’est un vieil ami de Fabien Clain. Il est d’ailleurs marié avec Amélie Grondin, la demi-soeur des frères Clain. Cette dernière serait aussi aux mains des forces kurdes, de même que Najib, 31 ans, le frère cadet de Mohamed. Megherbi aurait un moment travaillé comme cameraman pour la branche médias de Daech. Il aurait par ailleurs été blessé par balles en 2016. Quelques personnages de second plan, issu de la mouvance toulousaine, seraient aussi aux mains des Kurdes : Hakim B., Rachid J.E., Chahid T.,…

Arrêté en décembre 2017, on trouve encore Romain Garnier, 31 ans. Originaire de Vesoul (Haute-Saône), cet ancien nageur de niveau national en catégorie jeune, a lui aussi rallié la Syrie, fin 2014, avec sa femme, Caroline. Devenu Abou Salman, il est apparu dans des vidéos de propagande, appelant les musulmans à tuer les Français « par les armes, les voitures, le poison. »

Mohamed Yassine Sakkam, 28 ans, appartenant à la filière dite de Lunel (Hérault), paradait lui aussi sur des photos avec un fusil d’assaut. Il dit être arrivé au « Sham » en décembre 2014 pour retrouver son frère Karim. Ce dernier est mort dans un attentat kamikaze, en avril 2015. Pourtant, Mohamed Yassine est resté, mais nie avoir été un combattant.

Deux autres pointures du djihad français attendent de savoir si elles seront rapatriées en France. Adrien Guihal, 33 ans – arrêté avec sa femme et leurs six enfants, à Raqqa, en mai 2018, par les forces kurdes -, est l’une des voix francophones de Daech. Il a notamment revendiqué les attentats de Magnanville (deux policiers assassinés à leur domicile en juin 2016) et de Nice (86 morts, 458 blessés), le 14 juillet de la même année. Converti en 2002, Guihal, alias Abou Oussama, a un CV long comme le bras en matière de terrorisme. Interpellé en 2008 pour un projet d’attentat contre des locaux des renseignements généraux, il est finalement condamné à du sursis, après avoir effectué six mois de détention.

Adrien Guihal a aussi été administrateur du site et du forum djihadiste Ansar al-Haqq, entre 2006 et 2010. Décrit comme un « psychopathe » par une ancienne connaissance, il a rallié la Syrie en voiture, au début de 2015, avec un petit groupe, dont Fabien Clain. Avant d’être arrêté par les Kurdes, Adrien Guihal faisait partie des djihadistes français à « neutraliser » en Syrie.

Brisard : »Ils doivent répondre de leurs actes »

Parmi les derniers à avoir été capturés ou s’être rendus aux forces kurdes, ces dernières semaines : Quentin Le Brun, 30 ans, tarnois de naissance. Visage christique, accent du sud-ouest, l’homme s’était fait remarquer en novembre 2014 dans une vidéo de propagande où, aux côtés de deux autres compatriotes, il appelait les nouvelles recrues de Daech à brûler leur passeport français. Le Brun, alias Abou Oussama al-Firansi, affirme avoir travaillé comme graphiste dans la branche médiatique de l’EI et n’avoir jamais combattu.

« Il est très important que ces individus comparaissent devant la justice française. Ils doivent répondre de leurs actes, en particulier de leur rôle dans la chaîne d’organisation de certains attentats en France », souligne Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme. Par ailleurs, quelques-uns d’entre eux connaissent très bien les frères Clain et les ont côtoyés en Syrie. Ils sont susceptibles de livrer des informations capitales sur ces derniers. »

Actuellement, environ 250 autres terroristes français se trouveraient encore dispersés dans la zone irako-syrienne. Quelques dizaines d’entre eux auraient été récemment transférées, sous escorte française, en Irak. Pour ensuite être exfiltrés vers la France ? À voir. Ces derniers mois, plusieurs dizaines d’autres Français étaient retranchées dans la poche d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie. Dans ce dernier bastion tenu par le groupe djihadiste Hayat tahrir al-Sham, émanation d’Al-Qaeda, se trouveraient notamment des recrues du prédicateur niçois Omar Diaby, alias Omar Omsen. Selon nos informations, des petits groupes familiaux seraient bloqués dans plusieurs villes, dont Azaz, au nord de la Syrie, dans l’espoir de passer la frontière turque. Enfin, quelques familles sont actuellement prises au piège, avec les frères Clain, dans le réduit de Baghouz, ultime retranchement de Daech dans le désert syrien.