Source : Tribune de Genève

Spécialiste des questions de sécurité, Jean-Charles Brisard travaille sur l’antiterrorisme depuis des années. Ses propos ont été recueillis par Xavier Alonso.

Ces attentats sont-ils des représailles à l’arrestation de Salah Abdeslam?

Cette hypothèse ne peut être écartée. En France, on se souvient des attentats de 1995. Après l’arrestation de Khaled Kelkal pendant laquelle il est abattu au lieu-dit «Maison-Blanche», un attentat a lieu une semaine plus tard près du Métro Maison-Blanche dans le sud de Paris (ndlr: 12 blessés légers). Suite à l’arrestation de Salah Abdeslam, l’enquête s’accélérait.

Ces attaques ont-elles été préparées?

On n’acquiert pas le matériel, on n’assemble pas l’explosif TATP en quelques jours. Une préparation est nécessaire. Les actions de police ont précipité le passage à l’acte.

Salah Abdeslam n’est donc pas un gros poisson? Son arrestation n’a pas neutralisé la cellule djihadiste?

Il ne faut pas grossir l’importance de Salah Abdeslam. Il a joué un rôle de pivot logistique lors des attaques de Paris dans une organisation plus large que sa propre personne. Lui ne décidait pas. Il n’a ni la carrure ni l’envergure intellectuelle. Il n’a jamais été en Syrie: à proprement parler ce n’est pas un djihadiste. C’est sans doute pour ce «low profil»qu’il a été choisi pour déjouer la surveillance.

N’est-ce pas le moment de mettre en place une police fédérale européenne et une justice fédérale européenne?

Vous avez tout à fait raison. Encore une fois, chacun sait ce qu’il faudrait faire mais cela tarde à se mettre en place. Un Parquet et une police fédérale contre le terrorisme, l’Europe en parle depuis les attentats de Madrid en 2004. Aujourd’hui, c’est le Parlement européen qui bloque le PNR (ndlr: Passenger name record, dossier de réservation des passagers). Il y a chaque fois une bonne raison, mais on n’avance pas.

Mohamed Abrini et de Najim Laachraoui, les deux hommes recherchés depuis la semaine dernière par la police belge, ont, eux, des CV plus inquiétants?

Ce sont tous deux des djihadistes. Il y avait en effet des traces d’ADN de Najim Laachraoui sur les explosifs de Paris. Tout comme sur les ceintures explosives, prêtes à l’emploi, retrouvées dans la cache de Schaerbeek démantelée après Paris. Il y a de fortes probabilités que cet homme soit l’artificier des attentats de Paris.

Un ministre belge qui déclare que ces attaques étaient redoutées… La Belgique est-elle trop naïve dans les mesures prises contre le terrorisme?

Je ne suis pas dans ce registre. La police belge fait son boulot. Après tout le monde convient qu’il faudrait aller plus vite, sans pouvoir être certain que si l’enquête se déroulait en France, nous irions plus vite. Je rappelle tout de même que des individus ont été neutralisés. A commencer par Salah Abdeslam et Mohamed Belkaïd.

L’Europe est-elle en guerre?

Non. Nous faisons face à une organisation terroriste qui a décidé de structurer son action sur notre sol et de passer à l’offensive. Nous avons déjà connu cela par le passé sans que nous utilisions alors un vocabulaire martial.

Doit-on s’attendre à une recrudescence des attentats en 2016?

Tant que le réseau qui a rendu possible les attentats de Paris, et sans doute ceux de Bruxelles, n’est pas neutralisé, on ne peut écarter aucune hypothèse. Sans compter qu’il peut y avoir d’autres réseaux en préparation.

A chaque événement, on découvre donc que le réseau djihadiste est plus important qu’on ne le pensait…

Chaque attentat démontre l’étendue des failles sécuritaires dans lesquels les terroristes ont réussi à se glisser, pour s’implanter et circuler en Europe. Quand le Califat s’est autoproclamé en 2014, on a cru que ces gens voulaient simplement un territoire en Orient. On se rend compte aujourd’hui qu’ils veulent vraiment exporter leur combat.

Ces attentats sont-ils une conséquence de leurs défaites militaires en Syrie et en Irak?

On sait que Abaaoud, un des membres des commandos de Paris, a été en contact avec Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attaque du Musée juif de Bruxelles en 2014. C’est avant les frappes de la coalition. Tout est déjà là! On nous frappe pour ce que l’on est et non pour ce que l’on fait. C’est la démocratie qui est visée.

Que faire tout de suite?

Répéter les mêmes choses qu’après Paris en janvier et en novembre 2015. Implémenter le PNR. Le contrôle aux frontières. Et améliorer l’échange d’information entre les pays. Et le faire vraiment. Cela permettra une meilleure prévention. Mais pour l’immédiat, c’est l’enquête de police qui doit progresser.

Alors les niveaux d’alerte terroriste (1,2,3,4) et les militaires en faction devant les aéroports, ça ne sert à rien?

Ce sont des mesures d’affichage qui rassurent le public. Cela n’est d’aucun effet contre le terrorisme. Pire, on sait que ces militaires pourraient être des cibles. Pour les aéroports, la seule mesure efficace serait le contrôle obligatoire aux accès.

This post is also available in: French